Perspectives larges sur le plan social dans les armées

La loi de programmation militaire 2014-2019 (LPM) continue la lente érosion des capacités de défense de la France dont il n’est pas sûr qu’elles répondront demain de façon satisfaisante aux analyses du Livre blanc (LBDSN), voulu, rappelons-le, parce que «Les menaces identifiées en 2008 – terrorisme, cybermenace, prolifération nucléaire, pandémies… – se sont amplifiées ». Et de fait, le Livre blanc corrobore et amplifie ce jugement : « Les menaces militaires n’ont pas disparu ». Déjà, avant la LPM 2014-2019, la part de la dépense publique totale consacrée à la Défense n’était que de 3,2 %[1], légèrement au-dessus du poste « Loisirs, culture et religion » à 2,5 %. Cette loi impose donc un effort budgétaire qui se traduira par une décroissance égale à l’inflation, inflation prévue à 1,3% pour 2014, et à un niveau au moins égal pour les années suivantes.

Cette baisse budgétaire sera obtenue, entre autres, par un plan social d’ampleur avec trois priorités selon le ministre de la défense : réduire le volume des militaires, maîtriser la masse salariale et rééquilibrer les effectifs globaux entre les civils et les militaires. Le ministre précise d’ailleurs que : « L’enjeu, c’est aussi le bon emploi de l’argent de l’État, donc du contribuable ». Il faut donc, pour juger de ce bon emploi, mettre en perspective la dépense militaire au sein de la dépense publique totale.

Les informations du rapport 2013 de la Cour des comptes sur la rémunération des militaires, comparées aux  données du rapport du Haut comité à l’évaluation de la condition militaire (HCECM-juillet 2012), des rapports sur l’état de la fonction publique et les rémunérations 2012 et 2013 (PLF) et du bilan social de la défense 2012 (BSD) permettent cette mise en perspective.  

Relativement peu nombreux, les effectifs seront encore réduits

Les effectifs de la défense sont, selon le BSD, de 288 066 personnes, dont 222 215 militaires soit 77,1 % du total et 65 851 civils soit 22,9 %. Le plan social portera sur 34 000 postes militaires. La France aura donc en 2019 une armée forte de 188 565 soldats.

Quatre remarques : La part des civils, donc des non combattants, sera portée à 27 % au sein d’un ministère dont la fonction est le combat et sa préparation. Les militaires ne devraient représenter demain qu’environ 4,3 % de la fonction publique « tous versants » confondus (5,02 millions d’agents-PLF2013) et 11,7 % de la fonction publique d’État (1,9 millions d’agents-PLF2013). L’armée de terre sera capable de projeter 66 000 soldats en opération, soit moins que les recrutements supplémentaires prévus de 2013 à 2017 dans l’Education nationale (60 000 enseignants et 10 000 contrats). Les 34 000 postes supprimés représentent le tiers des créations d’emplois d’avenir qui s’adressent au même cœur de cible que les armées, les moins de 25 ans.

La masse salariale « militaire » est, relativement, plus que raisonnable

La masse salariale de l’État hors pensions s’établit à 80,6 Mrds d’€ pour 1,9 millions d’emploi autorisés équivalent temps plein (PLF 2013). Sur cette masse, 7,7 Mrds (CC-2013) soit seulement 9,5 % sont consacrés aux 222 215 militaires qui représentent cependant 11,7 % des effectifs.

De plus, le HCECM souligne que environ 36 % des revenus distribués sur cette masse salariale sont constitués de primes qui sont des « compensations aux contraintes et sujétions de la condition militaire, dont une partie varie en fonction de l’engagement des forces, qui ont permis de rattraper, alors que ce n’est pas leur objet, le niveau moyen de rémunération des autres catégories équivalentes ». Par ailleurs ces primes ne sont pas incluses dans le calcul de la retraite. Il y a 174 primes pour les militaires et 1800 pour la fonction publique civile (PLF 2013)[2].

L’encadrement des armées est très faible

 Le PLF (2013-p.53) livre le tableau suivant qui montre la répartition des agents civils et des militaires par catégories.

  Catégorie A

Cadres

Catégorie B

Professions intermédiaires

Catégorie C

Employés et ouvriers

Total
Civils Pourcentage par catégorie 56,3 % 20,9 %  21,3 % + 1,6 indéterminé = 100 %
Militaires Pourcentage par catégorie 13,2 % 53,5 % 33,3 % 100 %

 

La réduction importante des tableaux d’avancement des militaires, appliquée pour 2013 et en cours de reconduction pour les années à venir aggrave la situation, malgré l’augmentation des compétences exigées pour le soutien et l’engagement opérationnel d’une armée à haute technicité.

Cette pression sur l’encadrement par la restriction de l’avancement est une autre « exception militaire » car, la même année, une vision opposée se dessinait pour la fonction publique civile : « […] notre système de grille aujourd’hui à bout de souffle et [qu’il] doit être rénové en profondeur pour s’adapter aux évolutions des métiers et redonner aux agents des perspectives de carrières et des parcours professionnels motivants [3]».

L’encadrement de haut niveau est comparativement quasi inexistant

Les cadres de haut niveau sont classés dans la catégorie A+, regroupant « l’ensemble des corps ou emplois fonctionnels dont l’indice terminal du grade supérieur est au moins égal à la hors échelle B (HEB)».

Pour les militaires nous y trouvons les officiers généraux des trois armées et des organismes interarmées (377 généraux), de la délégation générale pour l’armement (DGA) (111 ingénieurs généraux) et du contrôle général des armées (CGA) (50 contrôleurs généraux) soit un total de 538 A+, auxquels s’ajoute un contingent restreint de colonels terminant leur carrière en hors échelle lettre. L’ensemble représentait un total de 921 titulaires en janvier 2013 (CC-2013), soit, ramené à la population totale de militaires, un taux de 0,41 %.

Pour les agents civils de l’État, cette catégorie représente 84 600 titulaires pour 1 665 450 agents, soit 5,1 % des effectifs de la fonction publique civile d’État (PLF 2012, pp. 157-175).

Une situation qui divergera encore plus

Deux horizons se dévoilent dans les discours.

Pour l’un, parlant de la fonction publique, « Le contexte est difficile. Et les marges de manœuvre sont étroites. La situation financière de la France est une contrainte. Mais elle ne doit pas être un obstacle. Ni à l’évolution de notre fonction publique, ni à l’amélioration de la situation des agents » ce qui conduit à affirmer : « Notre volonté est une volonté de renforcement de la fonction publique en même temps qu’une volonté d’amélioration de la situation des agents[4] ».

Pour l’autre, parlant des militaires, si le postulat semble identique : « Dans un contexte de forte contrainte budgétaire […]», les conclusions en sont radicalement différentes «Économies sur le fonctionnement, économies aussi sur la masse salariale [5]».

Un souci réel pour le futur de notre défense

Les personnels, leurs compétences et leur moral acquis par l’entraînement et l’expérience font la force des armées. Soumis à des  réformes continues qui conjuguent les restructurations d’unités, les mutations, le freinage des avancements dans une institution qui pratique d’abord l’auto recrutement pour son encadrement, le non renouvellement de contrat, le moral des militaires s’enfonce. La singularité de la politique des ressources humaines s’appliquant à la fonction militaire pèse de plus en plus sur ce moral.

Aux inquiétudes sur la capacité d’une armée, ainsi diminuée dans ses moyens et son moral, de remplir ses missions, doit s’ajouter celle de savoir si la perspective d’une carrière militaire, dangereuse dans son essence et étriquée dans ses perspectives, va encore attirer demain notre jeunesse.

 

                                                                                  Jean-Claude Allard


[1] Rapport sur la dépense publique 2013, p.24

[2] Pour une vision comparative des salaires, se reporter au « Rapport sur l’état de la fonction publique et des rémunérations, 2013 », p.145

[3] Ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique, 7 février 2013, http://www.fonction-publique.gouv.fr/ministre/presse/discours-196

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