Budget des armées: « De la poudre aux yeux »

Le général Vincent Desportes, ancien directeur de l’Ecole de guerre, déplore l’absence de vrais choix de la loi de programmation militaire (LPM).

Le ministre de la Défense a détaillé jeudi sa loi de programmation militaire. Au menu, régime sec et 23 500 supressions de postes qui font grincer les dents des soldats.

Est-ce un bon budget pour pour la défense? 

Clairement non. Les annonces faites hier sont les signes précurseurs d’une dégradation de notre outil de défense, que la loi de programmation militaire accélère. En neuf ans, nous subissons une déflation de 23 500 personnels, lesquels s’ajoutent aux quelque 10 000 autres de la précédente LPM. Sur la période 2008-2019, les armées auront perdu 80 000 hommes, un quart de leurs effectifs ; c’est considérable. Le ministre affirme que la défense serait sanctuarisée. Or je note qu’elle va assumer 60% des suppressions de postes prévues au budget 2014, alors qu’elle représente 10% des emplois publics de l’Etat. En matière d’équipements, sur la même période, elle aura perdu la moitié de sa capacité d’action conventionnelle. Il existe un paradoxe très net entre le Libre blanc d’un côté, qui revendique la reconstruction de notre autonomie stratégique et la LPM de l’autre, qui diminue les cibles de nos capacités de projection stratégique.

Pourtant, dans le budget, les crédits dédiés aux équipements progressent, passant de 16 à 16,5 milliards d’euros… 

C’est de la poudre aux yeux. Car le budget est préservé en valeur : cela signifie qu’il supporte pleinement le coût inflation. Il manque en réalité un milliard d’euros. Le projet de loi fait aussi un pari risqué, en prévoyant l’exportation de 40 avions de chasse Rafale. Si ces ventes devaient se réaliser trop tard, ou pis, si elles n’ont pas lieu, ce sont 4 milliards d’euros que la France devra assumer. Autre risque majeur : le budget est bâti, en recettes, sur la perspective de ressources exceptionnelles très élevées. Sans vouloir faire de procès d’intention, il y a peu de chances que l’Etat parvienne à engranger ainsi 6 milliards d’euros au cours de la LPM. J’ajoute que le gouvernement ne pourra pas compter, dans l’immédiat, sur les réductions d’effectifs. On l’a vu avec l’exercice précédent : dans un premier temps, les départs des personnels coûtent de l’argent. Enfin, la baisse du budget aura un impact sur les prises de commandes, déjà faibles. En termes d’emplois, les industriels de l’armement estiment que cela devrait se traduire par la perte de 10 000 emplois directs et autant d’emplois induits. Et encore, à condition que la trajectoire financière soit respectée. 300 à 400 PME, les plus vulnérables, devraient disparaître, sur les 4000 entreprises que comporte le secteur. 

Que faut-il en déduire sur le plan stratégique? 

La LPM comporte plusieurs défauts majeurs : 

1. Un manque d’épaisseur stratégique. Nous aurons de plus en plus de mal à conduire, dans la durée, plusieurs interventions à la fois sur plusieurs théâtres. Les armées resteront capables de mener des opérations courtes, ponctuelles et techniques comme au Mali. Lors de l’opération Serval, les forces se sont engagées avec du vieux matériel parce que les équipements de bon standard étaient en Afghanistan. 

2. La cohérence capacitaire constitue la force des armées. Or nous avons des failles en matière de transport stratégique, d’avions de ravitaillement, de renseignement par drone et d’armes de destruction des défenses anti-aériennes (Sead). Nous allons recevoir 15 Airbus A400M au lieu des 50 prévus initialement. L’armée de l’air doit se contenter de 2 avions ravitailleurs modernes contre 12. Un effort est fait sur le renseignement, très bien. Mais rien sur les armes Sead. Conséquence : notre dépendance vis-à-vis des Américains va s’accroître. La cohérence globale est dégradée. On voit bien qu’avec un contrat opérationnel fixé à 15 000 hommes et à 45 avions de combat, la France ne pèse plus rien : son armée devient une force subalterne. 

Vraiment ? 

Des choix n’ont pas été faits. La LPM saupoudre les moyens et construit une armée bonzaï. Elle reste théoriquement capable d’agir sur tout le spectre des conflits ; mais, en fait, elle ne l’est pas. Il fallait réduire notre appareil de dissuasion nucléaire, qui engloutit, chaque année, 10% des crédits consacrés aux investissements et de l’ordre de 20% du budget global. Notre outil de défense se retrouve déséquilibré, avec un appareil nucléaire hypertrophié et des forces conventionnelles sous-dimensionnées.

(Par L’EXPRESS.fr, publié le 04/10/2013 )

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